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Thursday, 22 November 2012

Chapitre X: Déserteur


Déserteur

 Dans le désert, ils avançaient tantôt à pied, tantôt à dos d’animal afin de ne pas trop  les  épuiser.  Les  conditions  rudimentaires  dues  à  la  chaleur  réclamaient  beaucoup d’énergie. Une infinie étendue de  dunes se présentait devant eux. Il n’avait pas d’autres choses à faire que de progresser vers leur but.
Le deuxième jour, ils croisèrent un groupe de Nomadis. Les Nomadis étaient un groupe de personnes, qui faisaient continuellement le chemin entre Mazake et Bispolis. Ils étaient eux-mêmes marchands ou escortaient  simplement  les  marchands.  Ils  étaient  tous  à  dos  de chameaux ou dromadaires et voyageaient en grand nombre.
Ils étaient vêtus de longues tuniques blanches, un turban de même couleur autour de la tête. La petite troupe s’arrêta pour les saluer.
Le soleil se couchant, les Nomadis les invitèrent à passer la nuit en leur compagnie. Ils montèrent les  tentes, allumèrent un feu autour duquel tout le monde prit place. Après un copieux repas, ils consommèrent le traditionnel thé à la menthe et fumèrent la chicha.
Les Nomadis étaient d’un naturel hospitalier, toujours très accueillants avec les étrangers qu’ils rencontraient.
Sanaar leur chef, la chicha à la main, son visage illuminé par le feu, commença à conter l’histoire des premiers Nomadis.
Maya était hypnotisée par le vieil homme ; elle l’observait attentivement. L’homme était maigre et de  petite taille, ses joues étaient creusées, il avait de grands yeux noirs et une barbichette en pointe.
Son histoire avait désormais toute l’attention de l’auditoire présent autour du feu. L’atmosphère était chaleureuse, envoûtante même.

Il y a cinq cents ans, les lois d’Altador étaient de bannir tous les brigands du royaume et de les envoyer dans  le désert de Kelter.
La plupart d’entre eux ne survivèrent pas, d’autres trouvèrent  refuge  à  Mazake, d’autres encore se regroupèrent et  trouvèrent  le moyen  de survivre dans le désert. Pour ces derniers, le désert devint leur maison, ils en connaissaient le fonctionnement.  Quand  les  frontières  furent  rouvertes   entre  les  deux  royaumes, les descendants de ces criminels exploitèrent leurs connaissances.
Ce qui avait fait leur malheur dans un premier  temps, fit leur fortune dans un second. Une très forte philosophie, venant d’un désir de rédemption, influait l’esprit des Nomadis. Cette philosophie était d’être chaleureux envers leur prochain. Ainsi tout  membre du clan ou tout étranger était traité comme des princes.
Il s’arrêta un moment, prit un air sérieux, inspira longuement la chicha, recracha la fumée et continua.
Ils purent entendre que cette philosophie n’obtenait pas l’adhésion de tous les Nomadis, certains avaient grandi dans la rancœur. Une scission s’opéra alors  et deux clans bien distincts se formèrent. Les Nomadis qui utilisaient leurs compétences à des fins commerciales et les autres qui utilisaient leurs ruses afin de dérober les gens. Ce clan était connu sous le nom des Ashkenaz. Les Ashkenaz étaient connus pour leur cruauté, ils étaient d’une habileté redoutable. Ils agissaient pendant la nuit uniquement. Ils frappaient très rapidement, planifiaient toujours à l’avance leurs attaques.
Ils ne s’en prenaient que très rarement aux Nomadis qu’ils considéraient comme des traîtres, mais qu’ils redoutaient car ils voyageaient en très grand nombre et partageaient les mêmes connaissances et pièges du désert. La proie favorite des Ashkenaz était  les  touristes qui pensaient être assez vaillants pour braver le désert ou les commerçants décidant de se passer du service des Nomadis afin de faire des économies. Leur plus grand plaisir était de déposséder  leurs  victimes de tous leurs biens, provisions et animaux. Ils ne tuaient que très rarement ; néanmoins, après  leur passage, la chance de survie de leurs victimes était improbable.
Sur ces mots, ils partirent se coucher.
Au matin, la petite troupe les remercia et reprit sa route. 
Supporter la chaleur torride, monter et descendre sans cesse les dunes devenait un véritable calvaire.
Le soir, au moment de monter le camp, Larsen leur annonça qu’ils ne leur restaient qu’un jour et demi de marche. Cela remonta le moral à tout le groupe. C’est le baume au cœur qu’ils se couchèrent.
Maya se mit à rêver.
Une vision du ciel, traversant les nuages et allant de plus en plus vite. Le ciel était maintenant dégagé, elle pouvait apercevoir une colline dont la végétation était abondante. Elle s’arrêta en contrebas de cette colline.  Des milliers de gens l’attendaient. Ils lui indiquèrent tous le chemin  à  suivre  en  désignant  du  doigt  le  haut  de la  colline.  Elle  commença  alors  son ascension. De chaque côté des gens l’encourageaient et  l’applaudissaient, elle ne pouvait entendre ce qu’ils disaient, elle avait l’impression qu’elle était aimantée au sol. Il lui était de plus en plus dur d’avancer et elle transpirait.
Elle se mit à penser qu’elle n’y arriverait jamais. Elle tomba, quelqu’un sortit des rangées et l’aida à se relever. Elle le regarda. Ulys lui sourit et lui intima de reprendre sa route vers le sommet. Cela lui semblait toujours aussi dur d’avancer. 
Elle était sur le point d’abandonner quand, Beramute  apparut  en  compagnie d’Utaka. Il l’installa sur la louve et lui indiqua à son tour le sommet. Utaka avait les mêmes difficultés à avancer. Après un dernier effort, elle s’effondra. Les gens criaient de plus en plus fort. Bien qu’extenuée, Maya pouvait entrevoir le sommet. Quatre personnes l’y attendaient, elle ne pouvait pas encore bien les voir. Encore un dernier effort…

Elle se réveilla en sursaut, Utaka hurlait à la mort.
Ulys saisit son épée, Beramute sa hache. Le feu était éteint, ils voyaient avec difficulté, seule la lumière de la lune les éclairait. Les Ashkenaz dont les yeux étaient affûtés se déplaçaient avec aisance et commençaient leur pillage. Utaka qui voyait comme au grand jour était la seule à défendre leurs biens.
Ulys, en tant que chasseur, avait l’ouïe très développée et s’en servit.  Malheureusement, ce ne fut pas assez efficace contre la fluidité de déplacement de leurs assaillants. C’était aussi compliqué que de se battre contre des moulins à vent. Avec l’aide du temps et de l’adrénaline, leur vision nocturne s’était adaptée au manque de clarté. Utaka  était  aux  prises  avec  trois Ashkenaz. Ils étaient  de  taille  moyenne, leurs visages masqués par un turban, ils portaient des pantalons et des chemises larges qui produisaient un effet de flottement à chacun de leurs mouvements ainsi qu’une écharpe autour de la taille en guise de ceinture.
 Beramute vint à la rescousse de la louve qui était attaquée à coup d’épées en forme de croissant de lune. Deux autres s’attelaient à les déposséder de leurs provisions. Ulys intervint, il engagea un jeu de parade riposte avec les voleurs. Il prenait le dessus sur ses adversaires, quand il entendit Maya pousser un cri. Il se précipita à sa rescousse. Il vit deux Ashkenaz prendre la fuite et un autre allongé sur le sol. Maya avait réussi à en mettre un, hors d’état de nuire. Ils entendirent Melo hennir. Ulys et Maya se ruèrent en sa direction. Mais trop tard, ils étaient déjà en fuite avec leurs montures. Ils entendirent un sifflement, signalant aux  opposants  d’Utaka  et  du  bûcheron  qu’il  était  temps  de  se  retirer.  A leur tour,  ils disparurent en un éclair.

Le calme le plus total régnait maintenant. Ils ne pouvaient que constater l’ampleur des dégâts. En l’espace de cinq minutes, ils s’étaient fait déposséder de toutes leurs vivres, ainsi que de Melo, du dromadaire et du rhino. Le corps du Ashkenaz avait disparu ainsi que Larsen. Beramute résuma la situation :
« Plu d’guide, plu d’prov’sion, plu d’an’maux, plu d’spoir »
Ils entendirent un bruit venant de la tente. Et une voix s’en dégagea :
« C’est vous les amis » dit Larsen. Il était sain et sauf. Il s’était réfugié dans un coin de la tente et s’était fait tout petit. Il avait une peur bleue des Ashkenaz et n’avait pas l’âme d’un guerrier. Ils rirent et lui tapèrent sur l’épaule.
Tout le monde fut d’avis de se mettre en route le plus tôt possible, tant que le soleil n’était pas encore levé. Les réserves d’eau étant quasiment épuisées, il fallait se dépêcher.
Ils marchèrent sous une chaleur torride. En milieu de journée, au plus fort de la chaleur, le manque d’eau se faisait cruellement ressentir, ils étaient complètement déshydratés. Maya était maintenant allongée sur la louve, Ulys et Beramute ouvraient le chemin et avançaient instinctivement. Larsen suivait, toujours un peu  en retrait. Utaka qui se méfiait du guide comme de la peste, le surveillait du coin de l’œil. A un moment,  elle l’aperçut sortir une gourde et boire une gorgée discrètement puis ranger la bouteille. Elle se retourna vers lui et lui  grogna  dessus.  Tout  le  monde  se  demanda  ce  qu’il se passait. Ils s’arrêtèrent et demandèrent la raison de cette soudaine saute d’humeur.
Larsen dit :
« C’est cette sale bête, la chaleur lui fait perdre la tête, elle va tous nous dévorer » Larsen ne se doutait pas que Maya et Utaka pouvaient communiquer.
Maya répondit :
« Il a une gourde dissimulée dans sa tunique »
« Quoi ? N’importe quoi, la petite aussi, elle délire ! » s’insurgea Larsen
Beramute, qui avait une confiance aveugle en Maya, qui était aussi assoiffé et pas d’humeur très patiente, prit le guide par le collet et le secoua dans tous les sens. Une gourde en tomba. D’un regard noir, Beramute s’apprêtait à lui broyer le cou. Maya ressentit la colère et l’envie de meurtre de son ami. Elle lui mit la main sur le bras et lui sourit avec bienveillance, ce qui apaisa Beramute instantanément.
« Nous devrions le laisser ici » proposa Ulys
« Nan » objecta Maya « nous ne sommes pas des meurtriers » ajouta t-elle
« Merci, merci ma bonne princesse » pleurnicha Larsen
La gourde était à moitié vide. Ils burent avec parcimonie, essayant de se rationner au mieux. Ils virent au loin une silhouette d’animal. Ulys reconnut Melo. Il le siffla, le cheval rappliqua aussitôt. Cela leur remonta le moral. Ulys embrassa son cheval.
« Brave bête, tu es vraiment intelligent, toi »
Au cours de l’après-midi, Ulys et Beramute interrogèrent Maya sur la façon dont elle avait mis KO un Ashkenaz, non pas qu’ils la sous estimaient. Cependant, ils connaissaient leurs forces respectives et malgré tout, ils avaient été tenus en échec. Maya leur expliqua qu’elle avait pu anticiper leurs mouvements. Elle avait saisi une pierre appartenant à Ulys et l’avait lancée avec une vitesse et une précision qui l’avait surprise elle-même. Faisant mouche, son adversaire avait été mis hors d’état de nuire. Ensuite l’arrivée d’Ulys les avait probablement mis en déroute.
Ils étaient épuisés, la nuit tombait et ils finirent ce qu’il restait d’eau. Ils continuèrent jusqu'à ce que  l’obscurité  fût totale. Ils furent réveillés par des bruits inconnus. Ils grimpèrent la première dune et s’aperçurent que Mazake était en face d’eux, ils exultèrent de joie.
Affamés et assoiffés ils marchèrent d’un pas soutenu vers la citée marchande. Larsen lui, courait. C’était probablement la dernière fois qu’ils le reverraient.

La motivation de leur guide pour traverser le désert n’était pas du tout honorable. N’ayant pas le cran de traverser seul, ni les moyens de se payer l’escorte, il s’était servi d’eux afin de  se rendre à Mazake. Larsen  naquit et vécut la plupart de son existence à Mazake. Il avait fui cette ville cinq ans plus tôt, laissant femme et enfant derrière lui. Il s’était enfui simplement parce qu’il était recherché pour vol. N’ayant aucun talent particulier, il était devenu hors la loi.
A plusieurs reprises, il s’était fait arrêté par les forces de l’ordre et en punition pour ses méfaits, était  menacé de  se faire couper une main. Il avait réussi à s’enfuir un soir en dérobant les clés de sa cellule à un garde peu sobre. Il avait traversé le désert en présence de ses compagnons de prison. Deux d’entre eux succombèrent en chemin. Lui, agonisant, avait été sauvé in extremis par des Nomadis. Ces derniers le conduisirent à Bispolis. Il planifiait son retour depuis quelques mois lorsqu’il les rencontra. Il était maintenant à la recherche de rédemption auprès  de sa famille qui lui manquait terriblement.