Déserteur
Dans
le désert, ils avançaient tantôt à pied, tantôt à dos d’animal afin de ne pas
trop les épuiser. Les conditions rudimentaires
dues à la chaleur
réclamaient beaucoup
d’énergie. Une infinie étendue de dunes
se présentait devant eux. Il n’avait pas d’autres choses à faire que de
progresser vers leur but.
Le deuxième jour, ils croisèrent un groupe de
Nomadis. Les Nomadis étaient un groupe de personnes, qui faisaient
continuellement le chemin entre Mazake et Bispolis. Ils étaient eux-mêmes
marchands ou escortaient
simplement les marchands. Ils
étaient tous à
dos de chameaux ou
dromadaires et voyageaient en grand nombre.
Ils étaient vêtus de longues tuniques blanches, un
turban de même couleur autour de la tête. La petite troupe s’arrêta pour les
saluer.
Le soleil se couchant, les Nomadis les invitèrent
à passer la nuit en leur compagnie. Ils montèrent les tentes, allumèrent un feu autour duquel tout le monde prit
place. Après un copieux repas, ils consommèrent le traditionnel thé à la menthe
et fumèrent la chicha.
Les Nomadis étaient d’un naturel hospitalier,
toujours très accueillants avec les étrangers qu’ils rencontraient.
Sanaar leur chef, la chicha à la main, son visage
illuminé par le feu, commença à conter l’histoire des premiers Nomadis.
Maya était hypnotisée par le vieil homme ; elle
l’observait attentivement. L’homme était maigre et de petite taille, ses joues étaient creusées, il avait de
grands yeux noirs et une barbichette en pointe.
Son histoire avait désormais toute l’attention de
l’auditoire présent autour du feu. L’atmosphère était chaleureuse, envoûtante
même.
Il y a cinq cents ans, les lois d’Altador étaient
de bannir tous les brigands du royaume et de les envoyer dans le désert de Kelter.
La plupart d’entre eux ne survivèrent pas,
d’autres trouvèrent refuge à
Mazake, d’autres encore se regroupèrent et trouvèrent le
moyen de survivre dans le désert.
Pour ces derniers, le désert devint leur maison, ils en connaissaient le
fonctionnement. Quand les frontières
furent rouvertes entre les deux royaumes, les descendants de ces
criminels exploitèrent leurs connaissances.
Ce qui avait fait leur malheur dans un
premier temps, fit leur fortune
dans un second. Une très forte philosophie, venant d’un désir de rédemption,
influait l’esprit des Nomadis. Cette philosophie était d’être chaleureux envers
leur prochain. Ainsi tout membre
du clan ou tout étranger était traité comme des princes.
Il s’arrêta un moment, prit un air sérieux,
inspira longuement la chicha, recracha la fumée et continua.
Ils purent entendre que cette philosophie
n’obtenait pas l’adhésion de tous les Nomadis, certains avaient grandi dans la
rancœur. Une scission s’opéra alors
et deux clans bien distincts se formèrent. Les Nomadis qui utilisaient
leurs compétences à des fins commerciales et les autres qui utilisaient leurs
ruses afin de dérober les gens. Ce clan était connu sous le nom des Ashkenaz.
Les Ashkenaz étaient connus pour leur cruauté, ils étaient d’une habileté
redoutable. Ils agissaient pendant la nuit uniquement. Ils frappaient très
rapidement, planifiaient toujours à l’avance leurs attaques.
Ils ne s’en prenaient que très rarement aux
Nomadis qu’ils considéraient comme des traîtres, mais qu’ils redoutaient car
ils voyageaient en très grand nombre et partageaient les mêmes connaissances et
pièges du désert. La proie favorite des Ashkenaz était les touristes qui pensaient être assez vaillants pour braver le
désert ou les commerçants décidant de se passer du service des Nomadis afin de
faire des économies. Leur plus grand plaisir était de déposséder leurs victimes de tous leurs biens, provisions et animaux. Ils ne
tuaient que très rarement ; néanmoins, après leur passage, la chance de survie de leurs victimes était
improbable.
Sur ces mots, ils partirent se coucher.
Au matin, la petite troupe les remercia et reprit
sa route.
Supporter la chaleur torride, monter et descendre
sans cesse les dunes devenait un véritable calvaire.
Le soir, au moment de monter le camp, Larsen leur
annonça qu’ils ne leur restaient qu’un jour et demi de marche. Cela remonta le
moral à tout le groupe. C’est le baume au cœur qu’ils se couchèrent.
Maya se mit à rêver.
Une vision du ciel, traversant les nuages et
allant de plus en plus vite. Le ciel était maintenant dégagé, elle pouvait
apercevoir une colline dont la végétation était abondante. Elle s’arrêta en
contrebas de cette colline. Des
milliers de gens l’attendaient. Ils lui indiquèrent tous le chemin à
suivre en désignant du doigt le haut de la colline. Elle
commença alors son ascension. De chaque côté des gens
l’encourageaient et
l’applaudissaient, elle ne pouvait entendre ce qu’ils disaient, elle
avait l’impression qu’elle était aimantée au sol. Il lui était de plus en plus
dur d’avancer et elle transpirait.
Elle se mit à penser qu’elle n’y arriverait
jamais. Elle tomba, quelqu’un sortit des rangées et l’aida à se relever. Elle
le regarda. Ulys lui sourit et lui intima de reprendre sa route vers le sommet.
Cela lui semblait toujours aussi dur d’avancer.
Elle était sur le point d’abandonner quand,
Beramute apparut en compagnie d’Utaka. Il l’installa sur la louve et lui indiqua
à son tour le sommet. Utaka avait les mêmes difficultés à avancer. Après un
dernier effort, elle s’effondra. Les gens criaient de plus en plus fort. Bien
qu’extenuée, Maya pouvait entrevoir le sommet. Quatre personnes l’y
attendaient, elle ne pouvait pas encore bien les voir. Encore un dernier
effort…
Elle se réveilla en sursaut, Utaka hurlait à la
mort.
Ulys saisit son épée, Beramute sa hache. Le feu
était éteint, ils voyaient avec difficulté, seule la lumière de la lune les
éclairait. Les Ashkenaz dont les yeux étaient affûtés se déplaçaient avec
aisance et commençaient leur pillage. Utaka qui voyait comme au grand jour
était la seule à défendre leurs biens.
Ulys, en tant que chasseur, avait l’ouïe très
développée et s’en servit.
Malheureusement, ce ne fut pas assez efficace contre la fluidité de
déplacement de leurs assaillants. C’était aussi compliqué que de se battre
contre des moulins à vent. Avec l’aide du temps et de l’adrénaline, leur vision
nocturne s’était adaptée au manque de clarté. Utaka était aux prises avec trois
Ashkenaz. Ils étaient de taille moyenne, leurs visages masqués par un turban, ils portaient
des pantalons et des chemises larges qui produisaient un effet de flottement à
chacun de leurs mouvements ainsi qu’une écharpe autour de la taille en guise de
ceinture.
Beramute vint à la rescousse de la louve qui était attaquée à
coup d’épées en forme de croissant de lune. Deux autres s’attelaient à les
déposséder de leurs provisions. Ulys intervint, il engagea un jeu de parade
riposte avec les voleurs. Il prenait le dessus sur ses adversaires, quand il
entendit Maya pousser un cri. Il se précipita à sa rescousse. Il vit deux
Ashkenaz prendre la fuite et un autre allongé sur le sol. Maya avait réussi à
en mettre un, hors d’état de nuire. Ils entendirent Melo hennir. Ulys et Maya
se ruèrent en sa direction. Mais trop tard, ils étaient déjà en fuite avec
leurs montures. Ils entendirent un sifflement, signalant aux opposants d’Utaka et du bûcheron
qu’il était temps de se retirer. A leur tour,
ils disparurent en un éclair.
Le calme le plus total régnait maintenant. Ils ne
pouvaient que constater l’ampleur des dégâts. En l’espace de cinq minutes, ils
s’étaient fait déposséder de toutes leurs vivres, ainsi que de Melo, du
dromadaire et du rhino. Le corps du Ashkenaz avait disparu ainsi que Larsen.
Beramute résuma la situation :
« Plu d’guide, plu d’prov’sion, plu d’an’maux, plu
d’spoir »
Ils entendirent un bruit venant de la tente. Et
une voix s’en dégagea :
« C’est vous les amis » dit Larsen. Il était sain
et sauf. Il s’était réfugié dans un coin de la tente et s’était fait tout
petit. Il avait une peur bleue des Ashkenaz et n’avait pas l’âme d’un guerrier.
Ils rirent et lui tapèrent sur l’épaule.
Tout le monde fut d’avis de se mettre en route le
plus tôt possible, tant que le soleil n’était pas encore levé. Les réserves
d’eau étant quasiment épuisées, il fallait se dépêcher.
Ils marchèrent sous une chaleur torride. En milieu
de journée, au plus fort de la chaleur, le manque d’eau se faisait cruellement
ressentir, ils étaient complètement déshydratés. Maya était maintenant allongée
sur la louve, Ulys et Beramute ouvraient le chemin et avançaient
instinctivement. Larsen suivait, toujours un peu en retrait. Utaka qui se méfiait du guide comme de la peste,
le surveillait du coin de l’œil. A un moment, elle l’aperçut sortir une gourde et boire une gorgée
discrètement puis ranger la bouteille. Elle se retourna vers lui et lui grogna dessus. Tout le monde se demanda ce qu’il se
passait. Ils s’arrêtèrent et demandèrent la raison de cette soudaine saute
d’humeur.
Larsen dit :
« C’est cette sale bête, la chaleur lui fait
perdre la tête, elle va tous nous dévorer » Larsen ne se doutait pas que Maya
et Utaka pouvaient communiquer.
Maya répondit :
« Il a une gourde dissimulée dans sa tunique »
« Quoi ? N’importe quoi, la petite aussi, elle
délire ! » s’insurgea Larsen
Beramute, qui avait une confiance aveugle en Maya,
qui était aussi assoiffé et pas d’humeur très patiente, prit le guide par le
collet et le secoua dans tous les sens. Une gourde en tomba. D’un regard noir,
Beramute s’apprêtait à lui broyer le cou. Maya ressentit la colère et l’envie
de meurtre de son ami. Elle lui mit la main sur le bras et lui sourit avec
bienveillance, ce qui apaisa Beramute instantanément.
« Nous devrions le laisser ici » proposa Ulys
« Nan » objecta Maya « nous ne sommes pas des
meurtriers » ajouta t-elle
« Merci, merci ma bonne princesse » pleurnicha
Larsen
La gourde était à moitié vide. Ils burent avec
parcimonie, essayant de se rationner au mieux. Ils virent au loin une
silhouette d’animal. Ulys reconnut Melo. Il le siffla, le cheval rappliqua
aussitôt. Cela leur remonta le moral. Ulys embrassa son cheval.
« Brave bête, tu es vraiment intelligent, toi »
Au cours de l’après-midi, Ulys et Beramute
interrogèrent Maya sur la façon dont elle avait mis KO un Ashkenaz, non pas
qu’ils la sous estimaient. Cependant, ils connaissaient leurs forces
respectives et malgré tout, ils avaient été tenus en échec. Maya leur expliqua
qu’elle avait pu anticiper leurs mouvements. Elle avait saisi une pierre
appartenant à Ulys et l’avait lancée avec une vitesse et une précision qui
l’avait surprise elle-même. Faisant mouche, son adversaire avait été mis hors
d’état de nuire. Ensuite l’arrivée d’Ulys les avait probablement mis en
déroute.
Ils étaient épuisés, la nuit tombait et ils
finirent ce qu’il restait d’eau. Ils continuèrent jusqu'à ce que l’obscurité fût totale. Ils furent réveillés par des bruits inconnus.
Ils grimpèrent la première dune et s’aperçurent que Mazake était en face d’eux,
ils exultèrent de joie.
Affamés et assoiffés ils marchèrent d’un pas
soutenu vers la citée marchande. Larsen lui, courait. C’était probablement la
dernière fois qu’ils le reverraient.
La motivation de leur guide pour traverser le
désert n’était pas du tout honorable. N’ayant pas le cran de traverser seul, ni
les moyens de se payer l’escorte, il s’était servi d’eux afin de se rendre à Mazake. Larsen naquit et vécut la plupart de son
existence à Mazake. Il avait fui cette ville cinq ans plus tôt, laissant femme
et enfant derrière lui. Il s’était enfui simplement parce qu’il était recherché
pour vol. N’ayant aucun talent particulier, il était devenu hors la loi.
A plusieurs reprises, il s’était fait arrêté par
les forces de l’ordre et en punition pour ses méfaits, était menacé de se faire couper une main. Il avait réussi à s’enfuir un soir
en dérobant les clés de sa cellule à un garde peu sobre. Il avait traversé le
désert en présence de ses compagnons de prison. Deux d’entre eux succombèrent
en chemin. Lui, agonisant, avait été sauvé in extremis par des Nomadis. Ces
derniers le conduisirent à Bispolis. Il planifiait son retour depuis quelques
mois lorsqu’il les rencontra. Il était maintenant à la recherche de rédemption
auprès de sa famille qui lui
manquait terriblement.